Du sable. Beaucoup de sable. Trop de sable.
Il ne déteste pas le sable, pas vraiment. Il s'est déjà rendu sur une plage en Ligurie et il a beaucoup apprécié y jouer, que ça soit en pleine journée pour souhaiter la bienvenu à la brise maritime ou le soir pour accueillir la déesse de la nuit. Oui, il avait énormément aimé y jouer. Qui n'aimerait pas jouer dans un décor si ce n'est les imbéciles et les aveugles ? Oh, sûrement cet imbécile de Geronimo. Oui, lui ne devait pas savoir apprécier un tel régal sensoriel. Imaginez jouer pendant que le vent déposes ses tendres caresses, que l'eau clapote joyeuse pour nous attirer dans ses vagues joueuse, que le soleil nous enlace précieusement dans ses bras chaleureux ou que la lune nous nimbe de son auréole argenté en nous laissant entrevoir la magnificence de l'eau la nuit.
Ô douce plage, que ne donnerait-il pas pour te revoir ? Rien. Il donnerait tout pour rejoindre dans cet environnement poétique. Sauf son talent. Et son violon. Personne ne lui prendra son violon. Personne.
Un grain de sable agressif le rappel à l'ordre. Comment une plage peut-être si belle d'un côté et si violente de l'autre ? D'ailleurs, ne faut-il pas de l'eau pour oser porter le nom de sable. Où ? Où est l'eau ? Ce n'est pas une plage. Alors qu'est-ce ? Par la déesse de la nuit, ce morceau de papier était à ce point mensonger ?! Et tout ce sable bon sang, il ne parvient presque plus à respirer tant le vent sablé est violent. Le sable volant s'insinue partout, il ne parvient pas à ouvrir les yeux et à chaque pas il a l'impression qu'il va se heurter à un mur ou s'étaler sur le sol. Il ne voit rien, pourtant sa vue va bien, il le sait. Non, c'est ce vent, ce sable.
Le violoniste sert son violon, son âme, contre lui avec son archet et se décide à avancer les yeux fermés. Littéralement. Il est bien trop occupé à protéger son instrument pour penser à son visage.
Chaud. Trop chaud. Milan n'était pas la ville la plus fraiche, il est habitué à la chaleur. Il se rit de la chaleur et se complais dans les rayons de l'astre rougeoyant. Mais ça. Cette chaleur. C'est incomparable. Il à l'impression de fondre, il sent cette agaçante transpiration s'écouler de son cou à son dos. Il sait que son visage devient de plus en plus poisseux, en plus de souffrir de ce sable.
Il avance pourtant. Un pas devant l'autre, droite, gauche, tout droit, il n'en sait rien. Il marche. Il tombe. Jure et se relève. Il marche. Encore et encore, jusqu'à tomber une seconde fois. Jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il pourrait boire le Po en entier. Oh et ce sable bon sang ! S'il a abîmé, ne serait-ce qu'un peu, son violon, il lui fera payer. Peut importe comment. En faisant un autre vœu peut-être. Un vœu ! S'il tenait l'auteur de cette idiotie ! Et comment a-t-il osé croire à ça. Comment. Pourquoi.
Vito pleure. Il ne s'en rend pas compte immédiatement et s'imagine que c'est de la transpiration, mais non, c'est salé.
Vito pleure comme s'il venait de perdre son archet.
Vito pleure comme s'il était blessé.
Vito pleure comme toute personne triste.
Vito est en colère, il est loin d'être triste. Il devrait serrer les dents, enfoncer son poing dans le sable, maudire ciel et terre. Pas pleurer. Pourquoi pleurer s'il n'est pas triste ? Anormal, mais c'est peut-être des larmes de colère. Oui, ça doit sûrement être ça. Des larmes de colère.
Du sable à en perte de vue.
Un vent à en couper la vue.
Une chaleur digne d'un four.
Une soif intarissable.
Il veut jouer, il doit jouer. Jouer est la solution à tout. Ha ! Comment pourrait-il jouer dans ce désert et avec tout ce sable ?! Non, trop risqué pour le violon. Il ne doit pas être abîmé. Il sourit joyeusement et se prépare à se remettre en marche.
Joyeusement. Un sourire joyeux alors que la colère enserre notre cœur. Ce désert à tout détraqué.
Une ombre. Une ombre se dessine doucement au loin. Ou proche, il ne parvient plus à mesurer les distances avec ce sables infernal. Oui, c'est bien un corps qui se détache peu à peu. Encore quelque pas et tu pourras presque dessiner la forme de son visage. Si tu en avais l'envie. Interessant comme la chaleur fait divaguer, ou la soif peut-être, mais l'étranger semble pourvu d'oreille pointu. Personne ne peut avoir les oreilles pointu, c'est absolument impossible.
Aussi impossible que ce sable, cette chaleur et cette soif.
Trop de sable, trop de soleil. Trop de tout. Il voudrait maudire la terre entière et il le ferait s'il n'avait pas peur de manger du sable. Et s'il n'avait pas un sourire scotché sur le visage. Heureux sans l'être, belle ironie.
Malgré cette chaleur, malgré ce sable, malgré ce tout, le jeune homme agite la main pour faire signe à la silhouette. Pas longtemps, il faut protéger le violon. Il vient du grand Stradivari lui-même, c'est impensable de l'abîmer. De toute façon, qui abîmerait son âme.
Oh cette chaleur, si seulement l'étranger pouvait avoir de l'eau. Même une goutte.