Intrigue 1 : Games of goats

Il a fait frais, ce jour-là. On se le disait. Il fait drôlement bon, aujourd’hui. Oui, drôlement. Dans l’ensemble, tout le monde était d’humeur à trouver ça drôle. La Perle voyait ses murs tiédis, ses murs d’ordinaire brûlants, et dans ses rues courait une brise dont la fraîcheur avec quelque chose d’inédit. Rien qu’un petit quelque chose, un rien à peine pressenti.

Un tel rien que la journée a eu un cours normal, un cours interrompu au dix-huitième tour de sablier par les cloches qui annonçaient le début de la sieste perlaise. Le monde semblait figé. Pourtant, au-delà des remparts de la Perle, le sable roulait sur les dunes ; et au-dessus de la Perle, c’étaient les nuages qui roulaient.

Sept tours de sablier plus tard, il faisait gris et les murs avaient refroidi. « Il va pleuvoir, aujourd’hui. » C’était déjà arrivé, de rares fois. Des pluies brèves et intenses, des instants d’euphorie mouillée jusqu’à ce que celle-ci vienne engloutir le sol des maisons, de plusieurs décimètres inférieur au niveau de la rue, sous forme de flotte mêlée de sable et de poussière, passant sous la porte, ou même sans s’en donner le mal, jaillissant à flots à travers les fenêtres sans vitrage.

Il n’a pas plu dans l’après-midi. C’était très bien comme ça.

Huit tours de sablier plus tard, il faisait noir. Ce noir n’avait rien de drôle. Ce n’était pas le « noir » tout relatif d’un ciel nu éclaboussé d’étoiles. C’était un noir lourd de ciel qui tourbillonnait au-dessus du désert. C’était un noir de tempête, et un noir glacial. Dans les maisons, on se pelotonne contre les murs en regrettant la chaleur qu’on maudissait la veille. Les doigts violacés et engourdis se crispent autour d’épaules frémissantes de froid. Sur les remparts, les sonneurs d’alertes frissonnent et s’échangent des regards. Ils la pressentent, la tempête, et connaissent leur devoir.

Soudain, un grand bruit brise le silence. Lorsque les sonneurs se retournent, ils voient le paysage transfiguré : effondré, le dôme de verre. Ne se dresse plus que le sablier qui, lentement, se retourne et reprend son imperceptible décantation.

Les sonneurs se précipitent ; le souffle de la corne d’alerte retentit dans la ville et achève de réveiller et d’entraîner hors de chez eux ceux que le froid n’avait pas tenus debout ou que la chute du dôme n’a pas sorti de leur sommeil.

Dans les rues de la Perle, ils sont accueillis par des flocons de neige.

Il semblerait que l’hiver arrive sur Terra.