Les légendes. Elles sont belles mais aussi tellement éphémères. Et pourtant, nous en sommes si friands, nous, êtres créatifs à l'espoir trop souvent étiolé par la rudesse de nos vies. Stabilité et paix filent entre leurs mots quand le groupe écoute un moment le ménestrel en quête de quelques sous pour son souper.
Alors, écoutons-le "chanter" ou si vous préférez, raconter ce qui n'est pas vraiment une légende, mais tout simplement la naissance d'un être particulier.
Une chute. Lente ou rapide, on ne l'on s'en rend pas bien compte. Seul le fracas rappelle à notre corps la violence de l'impact. Sauf qu'en ouvrant les yeux, l'être que nous citons ne se souvient pas de sa propre naissance. Ni des raisons qui l'ont conduite ici. Et ce ici, qu'est-ce donc ? Ses doigts frôlent puis empoignent sans hésitation ce sol qui de suite s'échappe de ses mains en un léger nuage de poussière jaunâtre. De suite le mot sable s'échappe d'entre ses lèvres et son corps alors s'élève. Longs sont les cheveux qui alors tombent le long de ses épaules dans une immense cascade de grains et de filins noirs comme l'encre. Encre de Chine, chinée jusqu'au visage de l'intéressée à présent éveillée dans ce désert semblant sans fin.
Rien, rien ne semble être vivant ici, ou tu du moins plus vivant qu'elle. ses doigts s'élèvent soudainement vers son visage et tel une personne se découvrant pour la première fois, la jeune femme se touche et mémorise les traits de son visage. Yeux en amande, nez fin légèrement en trompette, bouche charnue et mâchoire fine. Puis, lentement ses doigts descendent vers sa poitrine peu proéminente mais présente. Elle sait enfin qu'elle est femme. Convaincue de sa découverte corporelle, c'est dans un silence total et une marche presque machinale qu'elle entame alors
Le Voyage.
Oui, nous l'avons tous vécus dans ce désert, où les pieds brûlent sur ce sable, où les yeux pleurent face au soleil implacable. De bourrasques et de diverses tumultes, tous ont entamé la longue marche en perdant haleine et toute humidité sur leur bouche avide de civilisation et d'eau; surtout d'eau. Mais jamais notre femme ne bronche, marchant encore et toujours dans cette direction dans cette posture droite et fière. Et là, le sable ... se lève. À chacun de ses pas, à chaque soupir tout semble s'effacer au devant d'elle pour lui facilité au mieux cette tâche ingrate qu'est de survivre; seul.
Longue est la marche, tout aussi longue que la chevelure coulant le long du bassin de la dame au teint presque aussi blanc que l'apparente couleur des rayons du soleil. Puis vient l'apparition d'une masse rocheuse apportant ombre et réconfort temporaire à son pauvre corps. Elle se croyait seule jusqu'alors; plus maintenant.
La femme voit cette forme tout aussi femme qu'elle, plus blonde et plus hâlée qu'elle. Évanouie et le souffle court, cette personne était là depuis un moment et semblait déjà renoncer à la vie.
Femme fronce alors les sourcils, son coeur se serre et tout semble devenir clair pour elle : elle
doit la sauver. Qui qu'elle soit.
Le vent souffle, siffle mais jamais ne la fait plier, cette forme fine bravant du désert les moindres dangers. Emportant sur son dos le poids d'un monde unique, un monde blond auréolé de hâlé et de rose, la femme aux cheveux d'encre transpire malgré la fraîcheur de la nuit tombée. Et quand enfin, elle pense sentir une présence "humaine" bien plus importante que leur deux corps réunis, elle ne voit rien d'autre qu'une pauvre âme esseulée.
Sourcils froncés, elle se sent pour la première fois agacée; pas contre l'homme qui s'approche d'elle ou bien l'inanimée non ... contre elle-même. Un mouvement anodin lui rappelle alors la nécessité de continuer malgré tout; ses lèvres sèches. Mais alors qu'elle se perd dans ses pensées, l'homme la touche et lui dit ces quelques mots
"Êtes-vous Takeko Nakano ?"Tandis qu'elle pense se retirer et ne point lui accorder quelques mots, la femme nommée par ces mots, Takeko Nakano, fixe l'homme. Elle y voit le désespoir mais aussi une mince lueur de son opposé; Espoir. Et son Espoir, il le trouve en elle. Elle, la fille chétive aux cheveux noirs. C'est ce qu'on appelle l'espoir en l'humanité.
Il se noie dans l'ébène, le boit comme l'on s'abreuve avec délectation sous une pluie salvatrice en voulant la sentir plus, toujours plus. Mais bien vite, il s'arrête quand tonne la voix implacable de la Sauveuse.
"Je ne sais pas", commence-t-elle. "Mais ce n'est pas le moment. Avançons. Cette pauvre enfant ne tiendra pas."
L'homme ne put rien dire. Le silence était total sous ce ciel bardé d'étoiles rieuses. Mais Homme ne rit pas. Homme n'éclate pas de joie. Il s'exécute, simplement, et cela sous le regard étonné de Femme aux cheveux d'encre. Pas un mot d'échangé, chacun suit sa destinée dans ses pas à elle, et plein d'espoir se gonfle le pauvre homme lui aussi exténué. Plusieurs fois, il a vu son pied s'enfoncer comme à son habitude, mais plusieurs fois il a vu aussi la femme l'attendre, toujours portant la femme à tête blonde. Et c'est le souffle coupé qu'il reprend sa route, toujours attendu par
elle, sa Takeko.
Puis vient le moment où Le Voyage s'arrête, où l'homme stupéfait s'empresse de leur donner eau, nourriture et lit pour se reposer. Mais quand Takeko dépose la jeune femme encore inconsciente sur le lit, sa réaction stupéfait encore plus leur guide : elle se met à genoux, mains sur le lit et veille de ses yeux à présent légèrement cerclés de noir, sur l'état de sa protégée.
"Vous devriez vous sustenter et vous reposer, Takeko" Dit-il enfin en lui proposant une pleine louche d'eau. Mais la jeune femme refuse d'une simple secousse de tête puis croise délicatement ses mains sèches entre elles afin de sans doute se donner quelque équilibre ou position de prière.
"Vous devriez. Elle aussi. J'attendrai mon tour."
Et l'homme s'exécute, encore, mais cette fois-ci y rajoute une inclinaison du corps, comme pour signifier son respect face à cette si frêle mais si implacable femme. Juste un coussin et la voilà endormie aux côtés de cette autre inconnue. L'homme l'observe alors, voyant que ses traits se sont soudainement déridés, comme si ... tout le poids qu'elle avait jusqu'alors soutenu s'était effacé de son visage.
C'est ainsi qu'est né la légende de Takeko, actuelle cheffe de notre milice. Belle mais sèche bienfaitrice de notre communauté. Ombre à la lance veillant sur nos nuités.
Si vous espérez un jour la croiser, je vous conseille sous un beau ciel étoilé de lever le nez. Blanche comme la plus belle de nos lumineux astres, elle filera suivi de son groupe dans un battement de capes et vêtements devant vos yeux éblouis.