Tu étouffes, Archimède. Qu’est ce qui se passe ? Pourquoi tes poumons te font si mal ? Tu essayes de te débattre, te débattre contre l’air. Tu essayes de combattre l’envie de tomber, de tomber sans pouvoir te relever. Tu dois lutter, tu dois te battre. On compte sur toi, après tout. Tu lances tes bras dans la fumée, épaisse et implacable, qui refuse de te laisser voir où tu te diriges. Tu es perdu, tu ne peux rien faire. Tu es perdu. Tu vas mourir, ici. Tu vas mourir. Et alors que tu t’apprête à tomber, de tout ton long face contre ce tapis de bonne facture acheté au Maroc l’Eté derniers, tu repenses à ta femme et à ton fils. Et pendant que tes pensées sont brouillées, pendant que le monde s’assombrit, une forme sombre et impressionnante se penche sur toi. Est-ce que c’est La Mort ? Non, la mort ne porte probablement pas de casque de pompier. Et tu sombres.
Flottement. Calme. Douleur...
Douleur?
Ton réveil est brutal et soudain, sur un brancard devant ta maison. Les flammes dansent, plus haute que le toit ou presque. Tu hurles, tu te tournes, on t’attrape, on t’attaches, on essaye de te parler. Tu vois les bouches qui bougent, tu vois l’air désolé des gens, tu vois sans comprendre, et tu hurles encore.
« MA FEMME ? MON FILS ? » Et tu te débats encore et encore, jusqu’à ce qu’on amène ta femme près de toi, inconsciente. Et tu pleures en hurlant, continuant de regarder autour de toi. Et soudain, le silence. Le silence s’abat dans ta gorge. Lorsque tu vois ton fils. Ton fils dans la maison qui hurle sans qu’on l’entende. Ton fils que tu devine par la fenêtre en partie fondue. Tu ne peux plus parler. Tu ne peux plus que pleurer. Même lorsque le toit finit par s’effondrer, comme si la maison se ratatinait sur elle-même. Et tu sombres encore.
C'est lorsque la vie souffle tout ce que tu as accomplis en quelques instants, que tu comprends que la justice divine n'existe pas.
Quand tu rouvres les yeux à l’hôpital, de l’autre côté de la blouse, les médecins t’annoncent que tu as du subir de nombreuses greffes et que tes parents ont donnés leur accord pendant ton absence. Qu'ils sont en chemin pour venir te voir depuis La Rochelle... Tu as, bien entendu, mille questions qui te viennent. Aucune en rapport avec ton propre état de santé. Tu n’es pas certains de ce que tu as vu, tu ne sais pas si tu as bien été témoin de tout ça : Tout ce que tu sais, pour sûr, c’est les
flammes qui lèchent ta peau et les murs de ta petite maison précieuse et délicate soudainement aussi fragile qu’une fleur jetée dans l’eau. Et tu ne sais pas, finalement : Toute douleur mise à part, tu es peut-être mort sans le savoir? Mais tu demandes un crayon et un papier, parce que tu ne peux pas parler avec ces tubes et ce masque sur ton visage. Et puis tu ne vois plus très bien, mais ce n’est pas ce qui te préoccupe pour le moment. Pas plus que la possibilité que tu puisses être en train de délirer entre la vie et la mort. D’une main maladroite et tremblante, tu écris avec toute l'application dont tu es capable sur le dos d’une feuille de soin donnée par l’infirmière.
Ma femme et mon fils?Elle soupire, ses sourcils se froncent et enfin, elle secoue la tête.
Finalement, tu es bien mort cette nuit du
12 Novembre 2012.
***
Le temps file invariablement, échappant à toutes les mains et tous les esprits. S’il y a bien une chose immuable et sur laquelle personne n’a d’emprise, c’est bien le temps. Et tu ne fais pas exception à la règle. Tu ne sais plus combien de temps s’est écoulé depuis l’incendie. Des mois ? Des années ? Non, les journaux et les informations te le rappellent souvent : déjà des années et tes souffrances restent inchangées. Tu es vide, tu n’as plus aucune consistance, plus aucune matière. Tels les murs bleu clairs de ta chambre d’hôpital. Telle la pile de livre en tout genre, allant de la fiction au roman historique en passant par les livres de cuisine, tu menaces encore et toujours de tomber à chaque souffle du temps. Tu as abandonné ton métier, trop difficile à envisager après le décès de ta famille. Tu ne pouvais plus croiser de blouses sans penser à Adeline. Ta belle Adeline. Tu ne la croiseras plus aux détours d’un couloir ou pendant les réunions de transmission inter services.
Une chevelure Rousse vole dans l'agitation
Sous le regard brouillé par les larmes
Elle n'est qu'un souvenir
Tout comme toi
Souvenir d'une vie passée
Et même lorsque ta santé te permis de quitter les tuyaux, ce ne fut que pour gagner une chambre d’hôpital plus loin. Une chambre d’hôpital aux mêmes murs bleus clairs, soit disant pour apaiser leurs patients. Et c’est entre ton voisin qui passe son temps à hurler des incantations incompréhensibles dans un latin approximatif et l’autre, dont le regard dérangeant n’égale pas le silence absolu qu’il affecte, que tu continues ta vie. Ou que tu continues ta mort. Vide. Terriblement vide.
Le temps passe, invariablement.
Il t’échappe plus que jamais.
Les années passent et on t’offre des permissions, encore et toujours. Tes parents te proposent de venir les voir à La Rochelle, de venir à la plage, de venir t’amuser. Tu ne sais plus comment on fait, tu ne sais plus sourire, tu ne sais plus vivre. Tu as toujours mal. Tu continues de pleurer tous les jours, toutes les nuits, plié en deux en caressant les marques indélébiles de ta mémoire directement sur ta peau. Tu refuses les permissions, dans un premier temps, mais tu t’ennuies tellement que tu ne fais que penser à Adeline et Clovis et enfin… tes médecins te forcent à partir. Mais rien n’y fait, tu n’arrives pas à reprendre gout à la vie. Tu es si désespéré que tu n’essayes même plus d’attenter à ta vie. Tu te laisses, peu à peu, mourir.
Un papier vol aux vents
Un flyers ridiculement petit au contenu risible
Un papier qui change ta conception.Une agence de voyage, semblerait-il. Tu n’y aurais jamais prêté attention, en réalité, si une phrase n’avait pas attirée ton attention. Tu marchais, sans autre but que de marcher, sur le port de La Rochelle. Tu entendais la foule de touriste, les mouettes, les vagues, mais ton esprit était trop fermé pour les écouter, pour entendre l’écho chaleureux de la vie à tes oreilles. Tu restes figé, le pied sur le flyers aux couleurs criardes.
« Oubliez la mélancolie et la tristesse » voilà ce que disait le slogan de l’agence. Le soir même, ta valise à roulette au bout des bras, tu te rendais à l’adresse indiquée.
Et en poussant la porte, tu bouleverses ton destin.
C’est à cet instant que tu rouvres les yeux, plissant les paupières et fronçant les sourcils. Ta main vient immédiatement se visser à ton front pour servir de visière pendant que le
CLAC de la porte résonne à tes oreilles. Mais tu es trop occupé à observer le désert.
Le putain de désert. Tu papillonne des yeux, dans le vain espoir de te réveiller peut-être ? Tu papillonne avant de te tourner, légèrement sujet à la panique, pour rouvrir la porte derrière toi : Encore ce même
désert. Était-ce là ce contre quoi on te mettait en garde par le passé ? L’enfer de ceux qui tournent le dos à Dieu ? Foutaises… Il devait y avoir une autre solution, une autre explication.
Et tu continues de chercher, même lorsque tu as enfin remarqué la ville au loin et que tu as enfin réussi à la rejoindre. Même après avoir échangé avec Titus et d’autres déportés. Et tu ne comprends pas… Et tu adores ça, Archimède. Tu adores terriblement ça. Tellement que tu n’as toujours pas réalisé : Tu n’es plus triste. Tu ne ressens plus la tristesse. Tu ne comprends plus ce que c’est, même. Et tu continues de chercher, de comprendre, jusqu’à rencontrer ce petit être. Ce garçon un peu simple, terriblement
Souriant, qui finira lentement par te faire ouvrir les yeux. C’est le début de la clef du mystère, tu en es certain.
Et tu refuses de voir ton Sourire s’éloigner de toi.
Tu as besoin de comprendre, pour t’assurer que jamais…
Jamais, rien ne changera.Tu annonces dès lors qui est Sourire à Titus, tu l’expliques à qui veut bien l’entendre, mais les mentalités mettent du temps à changer. Surtout à La Perle. Tu essayes de montrer l’exemple, tu essayes de pointer du doigt ta relation avec Sourire, tu essayes de décoincer ce blocage qui paralyse la population. Mais certains restent bloqués, certains restent sur leurs positions et rien ne progresse. Tu enragerais presque, pendant que tu analyses tes particularités nouvellement découvertes : Tu demandes à Sourire de te faire rire en te regardant dans le miroir presque tous les jours pour voir s’il y a des changements dans la manière de se tordre de tes lèvres possédées. Qu’ils restent coincés dans leurs mentalités primitives s’ils veulent, mais l’avenir promet d’être brillant.
Et les jours s’enchainent et ne se ressemblent pas
Et les mentalités évoluent, lentement.
Le sablier s’égrène et les réponses ne se pressent pas.
Mais bientôt, les solutions seront tiennent : tu en fais le serment.